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Transition en Syrie : La résolution 2254 est-elle juridiquement contraignante ?

Dernière mise à jour : 11 janv.

Alors que la Syrie entre dans une nouvelle phase politique après la chute du régime de Bachar al-Assad, la résolution 2254 du Conseil de sécurité continue de susciter des débats intenses entre les nouvelles autorités syriennes, les différentes factions de la société et les acteurs internationaux.


Le 17 décembre, le Conseil de sécurité a rappelé l'importance de respecter la résolution 2254, adoptée en 2015, qui appelle à une transition politique inclusive dirigée par les Syriens et facilitée par les Nations Unies. Ce processus doit répondre aux aspirations légitimes de tous les Syriens, garantir leur protection et leur permettre de décider de leur avenir de manière pacifique, indépendante et démocratique. Cette approche a également été soutenue par les pays et organisations réunis à Aqaba le 12 décembre, qui ont réaffirmé leur engagement en faveur d'une transition conforme à la résolution (1).


Cependant, les nouvelles autorités syriennes remettent en question la pertinence de cette résolution. Elles estiment qu'elle a été conçue pour répondre à un contexte spécifique lié à l’ancien régime et que nombre de ses dispositions, comme la libération des détenus et le lancement d’une transition politique, sont soit déjà réalisées, soit dépassées. Elles jugent également inconcevable d’envisager un retour de Bachar al-Assad, désormais réfugié à Moscou, pour participer à d'éventuelles négociations.


En revanche, une partie importante de la population syrienne considère que la résolution était dès le départ irréalisable, en raison du refus du régime précédent de s’y conformer. Certains citoyens critiquent également le rôle des Nations Unies, perçu comme inefficace, accusant l’organisation de n’avoir pas défendu les populations vivant sous contrôle de l’opposition. Ils dénoncent notamment l’absence de visites sur ces territoires, où les représentants onusiens auraient simplement relayé les exigences du régime d’Assad.


D'autres estiment néanmoins que la résolution 2254 reste un cadre essentiel pour guider la transition politique et la reconstruction, offrant une base solide pour instaurer la démocratie, garantir les droits des femmes et renforcer l’État de droit.

Cependant, des inquiétudes persistent concernant les intentions réelles des nouvelles autorités. Beaucoup craignent que leur discours actuel, plus conciliant, ne soit qu’une tactique pour consolider leur pouvoir avant de revenir à des pratiques autoritaires.


Ainsi, la question reste ouverte : La résolution 2254 constitue-t-elle une obligation juridique pour les nouvelles autorités syriennes, et conserve-t-elle une pertinence dans la situation actuelle ?


I : Aperçu historique


Face aux revendications populaires, le régime syrien a adopté dès les années 1980 une politique de répression comme stratégie privilégiée. Cette approche a atteint son paroxysme au printemps 2011, avec le déclenchement d’un conflit qui allait engendrer l’une des pires catastrophes humanitaires du XXIe siècle. La situation s’est rapidement complexifiée, ouvrant la voie à des interventions d’organisations internationales et régionales, ainsi qu’à l’ingérence de plusieurs États. Certains ont soutenu le régime en place, tandis que d’autres ont cherché à le renverser (2).

En novembre 2011, la Ligue arabe a pris une mesure sans précédent en suspendant l’adhésion de la Syrie (3). Le 26 décembre de la même année, elle a envoyé 165 observateurs avec l’accord du régime pour mettre en œuvre un plan visant à arrêter la violence, libérer les détenus, retirer les chars des villes et garantir la liberté de la presse. Aucun de ces objectifs n’a été atteint. En janvier 2012, la Ligue arabe a intensifié sa position et, le 22 du même mois, elle a adressé une lettre à l’ONU contenant une feuille de route pour résoudre la crise. Celle-ci prévoyait un cessez-le-feu, la formation d’un gouvernement national et le transfert des pouvoirs de Bachar al-Assad à son vice-président. Cette proposition a été bloquée par un double veto de la Russie et de la Chine (4).

En février 2012, les Nations Unies ont nommé Kofi Annan comme envoyé spécial conjoint de l’ONU et de la Ligue arabe. Annan a proposé un plan en six points incluant un cessez-le-feu sous supervision onusienne, l’acheminement de l’aide humanitaire, la libération des détenus, la liberté de la presse et le respect du droit de manifester. Bien que le régime ait accepté ce plan et que le Conseil de sécurité ait adopté la résolution 2042 pour le soutenir, les efforts ont échoué avec l’escalade du conflit (5).


En juin 2012, l’accord de "Genève 1" a été annoncé, mettant l’accent sur une transition politique à travers la formation d’un gouvernement de transition doté de pleins pouvoirs exécutifs. Mais un nouveau double veto russe et chinois a empêché la mise en œuvre de l’accord, entraînant la fin de la mission onusienne (MISNUS) en août 2012 (6).


Les efforts diplomatiques se sont poursuivis avec la nomination de Lakhdar Brahimi en remplacement de Kofi Annan. Cependant, Brahimi a démissionné en mai 2014 après l’échec de la conférence "Genève 2", en raison des divergences profondes entre l’opposition et le régime. Alors que l’opposition insistait sur la formation d’un gouvernement de transition sans Bachar al-Assad, le régime mettait en avant la lutte contre le terrorisme comme priorité absolue (7).


La Russie a apporté un soutien politique et militaire actif au régime syrien, lançant une intervention militaire directe en septembre 2015. Dans le cadre d’une coopération russo-américaine, un Groupe international de soutien à la Syrie a été formé, aboutissant à l’adoption de la résolution 2254 en décembre 2015. Cette résolution visait également à légitimer l’intervention militaire et la présence russe en Syrie. Elle prévoyait la formation d’un organe de gouvernance de transition et l’organisation d’élections dans un délai de 18 mois, mais elle manquait de mesures contraignantes pour en garantir l’application. Par conséquent, son impact est resté limité, d’autant plus que le régime a engrangé des gains militaires au cours de cette période (8).


Malgré les efforts internationaux et arabes, les initiatives visant à mettre fin à la crise syrienne n’ont pas abouti. Les divisions internationales ont entravé la mise en œuvre des plans politiques, tandis que le conflit n’a cessé d’aggraver les souffrances humanitaires. Cette impasse a fait de la crise syrienne l’une des tragédies les plus importantes de l’époque contemporaine.

 

II : Contenu de la résolution 2254 de 2015


Le préambule de la résolution réaffirme l’engagement envers l’unité, la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de la Syrie, tout en soulignant que la seule solution à la crise syrienne réside dans un processus politique inclusif dirigé par les Syriens eux-mêmes. Il s’appuie également sur les résolutions antérieures du Conseil de sécurité, notamment la résolution 2118 de 2013, ainsi que sur la Déclaration de Genève de 2012 (9).

La résolution stipule un arrêt immédiat des hostilités contre les civils, tout en poursuivant la lutte contre les groupes terroristes comme Daech et le Front Al-Nosra. Elle insiste sur la nécessité pour toutes les parties de respecter le cessez-le-feu dans le cadre du processus politique. La résolution appelle à l’ouverture de négociations formelles entre le gouvernement syrien et l’opposition sous l’égide des Nations Unies, à partir du 1er janvier 2016. Elle propose la création d’un organe de gouvernance transitoire inclusif doté de pleins pouvoirs exécutifs, l’élaboration d’une nouvelle constitution durant la période de transition politique, et l’organisation d’élections libres et transparentes dans un délai de 18 mois, avec la participation de tous les Syriens, y compris ceux vivant à l’étranger (10).

En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, la résolution met l’accent sur le respect du droit international et des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, tout en exhortant les États membres à s’abstenir de tout soutien aux groupes terroristes sous quelque forme que ce soit. Elle appelle également à un accès humanitaire sans entrave pour toutes les zones assiégées et touchées par le conflit, tout en insistant sur le respect du droit international humanitaire afin de protéger les civils et garantir leur sécurité.

La résolution demande aux Nations Unies, par l’intermédiaire de leur envoyé spécial, de soutenir le processus politique et de fournir des rapports réguliers sur les progrès réalisés. Elle réaffirme que seul le peuple syrien a le droit de décider de son avenir, conformément à ses aspirations légitimes à la liberté et à la dignité.

Cependant, dans les circonstances actuelles, il est difficile de respecter les délais et les échéances fixés par la résolution. Même le rôle de supervision des Nations Unies peut être contourné si le processus politique est authentique et crédible.

L’engagement des autorités actuelles à mettre en œuvre le contenu de la résolution, en promouvant la participation politique, en garantissant le pluralisme, les droits des femmes et d’autres droits politiques et sociaux, même sans la supervision des Nations Unies, pourrait finalement conduire à la levée des sanctions imposées à la Syrie. Cela contribuerait à la stabilité et au développement au bénéfice du peuple syrien.

 

III : La force contraignante de la résolution 2254


La résolution 2254 a été adoptée à l’unanimité par les quinze membres du Conseil de sécurité. Toutefois, le Conseil de sécurité, qui porte la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales, a adopté cette résolution en vertu du chapitre VI de la Charte des Nations Unies.


Conformément au chapitre VI, le Conseil peut inviter les parties impliquées dans un conflit à régler leur différend par des moyens pacifiques et émettre des recommandations sur les méthodes ou les conditions de règlement. La résolution 2254, adoptée sous ce chapitre, reflète l’incapacité du Conseil à qualifier la situation en Syrie de menace pour la paix et la sécurité internationales, bien que les effets du conflit aient largement dépassé les frontières nationales syriennes, notamment en matière de déplacements forcés, de recours aux mercenaires et d’ingérences directes de divers États. Cette décision découle de la nature politique des qualifications effectuées par le Conseil, qui est avant tout une institution à caractère politique. Cependant, les résolutions du Conseil, même adoptées sous le chapitre VI, peuvent engendrer des obligations juridiques (11).

Le fait que la résolution ne mentionne pas explicitement que la situation syrienne constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales, et qu’elle ait été adoptée sous le chapitre VI, ne signifie pas pour autant qu’elle se limite à des recommandations non contraignantes. Bien au contraire, la résolution possède une nature juridiquement contraignante, mais elle ne prévoit aucune mesure coercitive en cas de non-respect. En conséquence, le non-respect de cette résolution par le gouvernement syrien, quel qu’il soit, n’entraîne aucune répercussion pratique sur le plan juridique. En d’autres termes, bien que la résolution soit juridiquement obligatoire, l’absence de son application n’engage que la responsabilité morale des parties concernées. Cela a permis au régime syrien de gagner du temps et d’échapper à ses obligations, s’appuyant sur le soutien de la Russie et de la Chine au sein du Conseil de sécurité.

Il est important de noter que le veto russo-chinois a bloqué toutes les tentatives de la France et d’autres pays européens visant à soumettre le dossier syrien à la Cour pénale internationale. Ce soutien s’est manifesté clairement lors de l’unique occasion où le Conseil de sécurité a réussi à qualifier la situation en Syrie de menace pour la paix et la sécurité internationales, ce qui a conduit à l’adoption de la résolution 2118 sous le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, à la suite de l’attaque chimique dans la Ghouta orientale durant l’été 2013.

En vertu du chapitre VII, le Conseil peut imposer des sanctions économiques ou, en dernier recours, autoriser le recours à la force, que ce soit par des États membres, des coalitions ou dans le cadre d’opérations de maintien de la paix mandatées par les Nations Unies, afin de maintenir ou de rétablir la paix et la sécurité internationales.

Bien que la résolution 2118 ait été adoptée sous le chapitre VII, son contenu, portant sur le démantèlement de l’arsenal chimique du régime d’Assad, ne prévoit aucune sanction ou mesure économique ou militaire en cas de non-respect par ce dernier (12).


L’actuelle contradiction réside dans le fait que la nouvelle autorité syrienne a déclaré son engagement à appliquer les dispositions de la résolution 2118, malgré l’absence de sanctions et bien que cette résolution concerne spécifiquement le régime de Bachar al-Assad, responsable de l’utilisation d’armes chimiques. Elle reconnaît également le rôle élargi des Nations Unies dans sa mise en œuvre. Cependant, pour des raisons similaires, cette même autorité refuse d’appliquer la résolution 2254.


Conclusion


Le droit international, en général, ne s'intéresse ni à la forme de gouvernement ni aux dispositions constitutionnelles d’un État, qu’il soit démocratique ou autoritaire. Cependant, la situation en Syrie a été explicitement abordée dans la résolution 2254, qui stipule la nécessité de répondre aux aspirations du peuple syrien en matière de liberté et de démocratie. Il est important de noter ici que les résolutions du Conseil de sécurité sont contraignantes pour les États concernés, qu'elles soient adoptées en vertu du chapitre VI ou VII de la Charte des Nations Unies, et qu’elles visent l’État, non pas le régime en place.


À titre d’exemple, les sanctions imposées à l’Irak après son invasion du Koweït dans les années 1990 n'ont été totalement levées qu'en 2016, soit près de 13 ans après la chute du régime de Saddam Hussein. En ce sens, la résolution 2254 est contraignante pour l'État syrien, indépendamment du régime au pouvoir. Par conséquent, le contenu de cette résolution s’adresse aux parties au conflit en Syrie sans privilégier ni le régime ni l’opposition. Malgré l'évolution de la nature du conflit, celui-ci perdure. En effet, les autorités syriennes actuelles ne contrôlent pas l'intégralité du territoire, et les aspirations du peuple au changement et à la liberté restent vivaces.


D’un autre côté, la résolution 2254 a été adoptée en vertu du chapitre VI, ce qui signifie que sa mise en œuvre repose sur la bonne foi et l’engagement volontaire, sans mécanismes coercitifs. Néanmoins, les pays occidentaux ont conditionné la levée des sanctions imposées à la Syrie à l'application de cette résolution. Ces sanctions ont lourdement pesé sur le régime précédent, l'affaiblissant au point de l’empêcher de fournir des services essentiels, ce qui a contribué à la perte de sa légitimité, y compris auprès de ses propres soutiens sociaux (14).


Appliquer la résolution ne nécessite pas, comme certains le prétendent, de ramener l'ancien président de Moscou pour négocier. Il s'agit plutôt de mettre en œuvre l'essence même de la résolution, à savoir répondre aux aspirations du peuple syrien pour la liberté et le pluralisme. Cela implique la formation d’un gouvernement inclusif, la rédaction d'une nouvelle constitution et l'organisation d'élections libres et équitables. Le rôle des Nations Unies se limite à superviser et évaluer le processus, ce qui ouvrirait la voie à une levée progressive des sanctions, en parallèle avec les progrès réalisés à chaque étape.


La méfiance envers la résolution 2254, tout en réaffirmant l'engagement envers la résolution 2118, pourrait découler d’une mauvaise compréhension du droit international ou de la résolution elle-même. Elle pourrait également traduire une volonté d’instaurer un simulacre de processus politique visant uniquement à consolider la légitimité du gouvernement actuel, monocouleur, et à étouffer toute perspective de transition politique ou de changement. Une telle approche risquerait de replonger la Syrie dans un cycle de chaos et de violences, voire de conduire à une guerre civile et à une partition du pays, surtout que les autorités actuelles n’ont entrepris aucune révision idéologique de leurs fondements. La flexibilité apparente de leur discours pourrait n’être qu’un pragmatisme stratégique, semblable à celui adopté par les mouvements islamistes dans leur phase dite de "consolidation


Bibliographie


(1)   SC/15943, Déclaration à la presse faite par le Conseil de sécurité sur la situation en Syrie, 17 décembre 2024.

(2)   M. Lundgren, « Mediation in Syria: Initiatives, Strategies, and Obstacles, 2011-2016 », Contemporary Security Policy, vol. 37, n° 2, 2016, p. 273-288

(3)   « La Ligue arabe suspend la Syrie et exige des sanctions », Le Monde, (avec AFP-Reuters), 12 novembre 2011.Droit public après les bombes last version.indd   38Droit public après les bombes last version.indd   3805-06-23   16:33:4505-06-23   16:33:45

(4)   Conseil de la Ligue arabe, Résolution 7444, 12 janvier 2012, transmise au Conseil de sécurité des Nations unies, S/2012/71, en ligne ; URL : https://digitallibrary.un.org/record/720513?ln=fr#record-files-collapse-header (consulté le 21 octobre 2021)

(5)   Nations unies, Conseil de sécurité, Résolution 2042 (2012), 14 avril 2012, S/RES/2042 (2012)

(6)   P. Akpinar, « The Limits of Mediation in the Arab Spring: The Case of Syria », Thirld World Quarterly, vol. 37, n° 12, 2016, p. 2294.

(7)   M. Asseburg, W. Lacher, M. Transfeld, « Mission Impossible ? UN Mediation in Libya, Syria and Yemen », SSOAR –  SWP Research Paper, 8/2018, p. 33.

(8)   N. Kozhanov, « Russia’s Military Intervention in Syria Makes It a Key Regional Player », Chattam House, 2 octobre 2015, en ligne ; URL : https://www.chathamhouse.org/2015/10/russias-military-intervention-syria-makes-it-key-regional-player (consulté le 23 octobre 2021)

(9)   S/RES/2254 (2015).

(10) V. Huet, « L’autonomie constitutionnelle de l’État : déclin ou renouveau ? », Revue française de droit constitutionnel, n° 73, 2008/1, p. 65-87.

(11) S. Sendiane, L’intervention de l’OTAN en Libye, in Ayoub Chafik, Monde arabe et Amérique latine, Confluence des dynamiques sociales, Le Harmattan, 2019.

(12)  R. Ben Achour, « Rapport introductif » in R. Ben Achour, S. Laghmani (dir.), Le Droit international à la croisée des chemins (Force du droit et droit de la force), Paris, Pedone, 2004, p. 5-15.

(13)   Nations unies, Conseil de sécurité, Résolution 2054 (2015), 18 décembre 2015, S/RES/2054 (2015).

(14)   S. Sendiane, Le Comité constitutionnel syrien, in le doit public après les bombes, Projets de réformes constitutionnelles et législatives pour une Syrie démocratique, l’Université de Brucelles, 2023.

 
 
 

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